mardi 15 novembre 2022

Nous n'avons pas d'âmes

je viens de terminer un bouquin à la mode
c'était moins pire que d'habitude

au moins ça disait des trucs vrais et ça tapait vraiment fort
mais j'avais déjà entendu tout le discours et ça n'apportait aucune solution nouvelle
c'était écrit mieux que je n'écrirais jamais
mais ça parlait encore des problèmes de gens qui avaient réussi
qui avaient une jolie vie et qui du coup avaient des problèmes de riches

quand tu dois te lever à quatre heures du matin pour aller décharger les camions en étant
payé au salaire minimum, récupérer tes gosses à l'école le soir, faire les courses, la bouffe
le ménage, le repassage... quand on est le 15 du mois et que tu ne sais pas comment tu vas nourrir
ta famille jusqu'au 31... quand tu dois composer avec tes collègues cons, tes chefs sadiques et si en plus tu es une femme
qui doit résister à la noyade du harcèlement et du machisme... tout ça restreint le champ de tes réflexions philosophiques, la priorité est de survivre
et si tu dois poser des mots, faut le faire vite, avec la rage et la vivacité qu'engendre la souffrance
quotidienne

le problème
des écrivains célèbres, c'est qu'il ont laissé la souffrance ordinaire derrière eux
maintenant, ils ont trop de temps pour penser
ça nuit à l'intensité de leur oeuvre

faut boire du mauvais vin et de l'alcool de supermarché pour voir le vrai visage 
de l'alcoolisme et tu ne connais la réalité de la drogue et de la pauvreté que le jour où tu dois sucer
ton dealer pour obtenir ta dose

tu pourras t'assoir à ton bureau, t'écouter réfléchir, tourner de jolies phrases, noircir les pages
blanches
et tu pourras vendre tout ça à un éditeur, et tu pourras voir tes livres dans les rayons
assoir ton cul sur les confortables canapés des émissions de télé, donner ton avis éclairé
sur tout ce que tu veux, vivre à paris, te faire sucer ou lécher dans les alcôves des salons littéraires
tu pourras contempler les chiffres de ventes avec la satisfaction de celui qui voit grossir
son
compte
en
banque, et tu t'habilleras mieux, et tu mangeras mieux, et tu boiras un meilleur alcool
et tu baiseras avec de plus beaux physiques
et tu mentiras au monde
avec aisance
et tu seras peut-être un grand écrivain, doué, 
mais tu ne seras jamais un
vrai
écrivain
avant d'avoir ouvert ton ventre pour jeter tes tripes sur le papier
avant d'avoir repeint les murs de ta prison mentale avec ton propre sang

les meilleurs hurlent
les meilleurs brûlent
et la douleur les mène à la folie et voila ce qu'ils racontent la bave aux lèvres

j'ai toujours eu une préférence pour les boxeurs
ceux qui vous mettent KO en une phrase

ceux là
savent
que la mort, le sang et le foutre n'ont rien de romantique
et que
peu importe de tenir ou non la distance, chaque round est une guerre
qu'il faut gagner sous peine de tomber

pour eux comme pour moi, le constat est simple,
Dieu et les anges et le diable te chient jour et nuit sur la gueule
et tu dois avancer coute que coute sous un déluge de merde chaude,
dans le miroir, nous sommes tous des cadavres,
nous n'avons pas d'âmes, nous n'avons que la souffrance




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