jeudi 5 septembre 2013

Dans cet entrepôt, la vie était assez tranquille


Dans cet entrepôt, la vie était assez tranquille
            salaire minimum mais
            35 heures par semaine payées 39,
avec les gars on s’entendait bien, on passait la journée
à marcher en poussant un chariot sur
lequel on posait un café brulant et des cartons
de pièces électriques à ranger dans les rayonnages
poussiéreux. Ici, service minimum,
 personne ne fouettait personne
alors on allait  aussi vite que des esclaves
à qui personne ne dit d’aller vite. Au mépris
des risques d’incendie et malgré les nombreux
            panneaux d’interdiction
on pouvait fumer en travaillant. Je prenais
à 08 heures et finissait à 16.
            Deux matinées par semaine, pas plus,
on devait porter des trucs lourds.
J’avais
déjà brûlé mon âme dans des endroits pires
que ça.

            Un jour un représentant trop bien habillé
que personne
n’aimait s’est pointé et m’a reconnu. J’ai fait semblant
de ne pas me souvenir (je ne l’avais jamais aimé)
 mais je me souvenais
lorsque j’étais au lycée il était amoureux
du bleu regard d’une fille de la classe 
qui, elle, était amoureuse
de mon meilleur pote
et il nous avait invité tous les trois
à son anniversaire. Il se serait bien
passé de mon pote et de moi, mais
            la demoiselle refusait de venir
sans
mon meilleur pote et lui n’allait
nulle part sans moi. Bref, nous
sommes arrivés là-bas, une belle
maison bourgeoise et comme nous
ne l’aimions pas, mon pote et moi,
nous avons
foutu le bordel, renversant sciemment
de l’alcool sur des tapis aussi épais
que l’hypocrisie d’un politicien,
cassant des verres, j’ai même
pissé sur les portières de sa voiture.
Le type était tellement bourré que lui
aussi foutait en l’air la maison de ses
parents, c’était drôle.
Le coup de grâce est arrivé quand mon
pote m’a dit, 
 « regarde, je le tue ! »
avant
d’emballer en moins de trois secondes
la fille aux yeux bleus devant son
amoureux transi que personne n’aimait.
Son visage s’est décomposé et
on a bien ri.

Il a insisté et j’ai fini par faire semblant
de me souvenir de mon passé, genre
ah oui, c’est vrai, ça me revient
tu fais quoi depuis tout ce temps ?
Lorsqu’il est parti, les collègues m’ont regardé bizarrement
et m’ont demandé :
            tu es ami avec ce connard prétentieux ?
Ami n’était pas le mot et j’ai du raconter
sa soirée d’anniversaire
pour qu’ils me pardonnent.

Un jour, je me suis pointé avec un jeans propre
 une belle chemise,
une veste en cuir noir, des chaussures vernis
et deux boucles d’oreilles en argent brillant.
Merde Vince, tu vas à un mariage après le boulot ?
J’étais sorti la veille, j’avais bu et j’avais
terminé dans le lit d’une brune aux cheveux
courts. Elle avait 20 ans
je crois, elle vivait dans un minuscule appartement
pour lequel elle payait un crédit, son dos était
entièrement tatoué et elle avait des piercing
un peu partout. Sa vie n’avait jamais été simple
et elle était folle et facile comme le sont parfois
            celles que l’amour a trahi dès
            leur plus jeune âge. J’avais passé
deux heures emboité
en chien de fusil tout contre elle à veiller sur son court
            sommeil
            je dors nue avait-elle dit avant de prendre
ma main et de la presser contre son sein.
Avant, je n’avais pas réussi à la baiser. Trop d’alcool !
(l’alcool et ma vie sexuelle
ont toujours eu des relations tendues)
Énervé à cause de cette érection qui refusait de montrer
            le bout de son nez
je n’avais pu m’endormir et
j’avais filé directement au boulot,
après avoir pris une douche en compagnie
de la brune frustrée par ma faute qui elle aussi partait
bosser. J’étais arrivé avec les yeux rouges et encore bien bourré
mais personne ne m’a rien dit.
dans ces endroits-là,
entrepôts ou usine, 
du moment
que tu tombes le boulot sans faire chier
personne ne te cherche d’histoires, à moins
de faire une connerie ou d’avoir comme chef
un ennemi personnel, mais ce n’était
pas mon cas, je travaillais bien et j’étais poli,
pas par conscience professionnelle ou bonne
éducation, c’était juste
plus simple, ainsi, on me foutait la paix.
Ce jour-là tout au plus
quelques mecs mariés ont jalousé ma
            ma liberté, rien que ne puisse
effacer une cigarette
            offerte près de la machine à café
            couleur crème
Quant à la fille,
Aussi cinglée qu’elle soit, je la comprenais
et l’aimais pour ses blessures
comme je comprends et aime toutes celles qui ont
été
cassées. Elle était têtue comme une vieille
mule, très intelligente, elle se débrouillait seule
et riait
beaucoup quand d’autres auraient
déjà volé en éclats depuis longtemps
à sa place. Je suis revenu un soir ou deux
à son appartement. La dernière fois
 nous étions plusieurs invités et
            c’est un autre qui l’a baisé,
ce sont des choses
qui arrivent. Heureusement, quand
elle a vu la tournure que prenaient
les évènements, une copine présente
s’est mise à me rouler des patins
de dingue. L’honneur était sauf et
            je suis sorti de l’appartement
la tête haute.

Le contrat s’est terminé et j’ai perdu le boulot,
            ce sont aussi des choses
qui arrivent.
En ce temps là
je perdais beaucoup de choses
            à commencer par mon temps
et ma raison mentale,
Les mots ne venaient pas et  dans la rue,
pas un sourire ne m’était destiné
pourtant, je croyais fermement que l’amour existait
et         que le monde et un destin m’attendaient
            avec impatience
            car je valais mieux
            que le reste de l’humanité
            Sur tous ces points et d’autres
            j’ai cruellement appris
            que je me trompais, (la vie se plait à t’enseigner
l’humilité), mais l’arrogance
            et la folie m’aidaient à tenir le coup
                        ceux qui connaissent les usines
                        et les entrepôts de métal comprendront,
                        la tranquillité est une illusion et
                                    il faut quelque chose pour tenir

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